L'île de la Réunion est confrontée a des contestations sociales depuis le mouvement national des gilets jaunes du samedi 17 novembre. La majeure partie du temps, plusieurs barrages (du genre entre 15 et 30) bloquent ou plutôt filtrent la circulation pour se faire entendre: "la vie est trop chère". Ces blocages entrainent des problèmes de ravitaillement dans toute l'île (carburant, denrées alimentaires, médicament, aliment bétail, ...), qui eux mêmes entraînent la fermeture de nombreuses structures (écoles, crèches, entreprises, ...). Bref, La Réunion "tourne" au ralenti depuis une dizaine de jours.
Depuis ce matin, la ministre des Outre-mer est sur l'île. Voici son discours en fin de journée :
Discours de Madame Annick Girardin, ministre des Outre-mer
La Réunion 28 novembre 2018
Seul le prononcé fait foiMadame, Monsieur,
On vient de m'informer qu'un adolescent vient d'être blessé sur un barrage à Saint-Denis tandis que des violences urbaines persistent à La Possession.
Je tiens à réitérer mon appel au calme.
Madame, Monsieur,
Depuis ce matin, je suis au contact des Réunionnaises et des Réunionnais, avec eux, parmi eux.
J'ai rencontré des Réunionnais, certains portant le gilet jaune, et je continuerai à le faire dans les jours à venir. Car ce mouvement - que je distingue nettement de ceux qui cherchent le chaos - exprime un malaise social profond, qu'il nous appartient d'entendre.
J'ai également rencontré les représentants des syndicats, j'ai rencontré des élus, et je poursuivrai ces rencontres dans les jours à venir, avec l'ensemble des forces vives du territoire.
Je tiens à donner une place à chacun, à prendre en considération l'ensemble des points de vue qui s'expriment. Car je ne doute pas de la sincérité de chacun des Réunionnaises et des Réunionnais dans leur appréhension de cette crise et des solutions qu'il nous appartient, collectivement, de construire.
Tous le reconnaissent : les attentes, l'exaspération ou les espoirs exprimés dépassent les conflits sociaux auxquels chaque territoire est confronté régulièrement.C'est le modèle réunionnais, dont nous sommes tous profondément fiers et qui, pour tous, était synonyme de réussite, qui est questionné.
J'aurai l'occasion, dans les jours à venir, de m'exprimer plus longuement sur cette question de fond, qui interpelle tous ceux qui connaissent et qui aiment La Réunion.
Il me semble cependant indispensable, dès à présent, de proposer un certain nombre de mesures sociales qui, à très court terme, doivent permettre de répondre aux attentes de ceux qui se sont aujourd'hui le plus en difficulté.
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D'abord, je tiens à rappeler que des mesures concrètes, prendront effet dès le 1er janvier 2019 et bénéficieront aux Réunionnaises et aux Réunionnais.
- Pour 60 000 Réunionnais qui bénéficient de la prime d'activité, qui complète les revenus des travailleurs modestes, celle-ci sera augmentée de 360€ par an ;
- 80% des foyers vont bénéficier de la baisse de la taxe d'habitation. C'est 65 millions d'€ de pouvoir d'achat rendu aux Réunionnais ;
- Pour les personnes âgées, le minimum vieillesse sera porté à 900€ par mois (+35€) et pour les retraités les plus fragiles, il n'y aura pas d'augmentation de la CSG ;
- Une personne en situation de handicap m'a interpellée ce matin : les bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé verront son montant porté à 900€ ;
- Tous les salariés du territoire verront leurs heures supplémentaires être exonérées de cotisations salariales, ce qui permettra un gain allant jusqu'à 250€ par an ;
- Tous les Réunionnais bénéficieront d'une prise en charge à 100% par la Sécurité sociale des frais pour les lunettes, les soins dentaires et les prothèses auditives ;
- Enfin, la CMU ne sera pas supprimée pour les plus fragiles. Ils bénéficieront d'une couverture santé complète non plus pour 110 mais pour 30 € par mois.
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Mais la situation de La Réunion appelle des réponses spécifiques.
C'est pourquoi, le Gouvernement a décidé d'engager des mesures de soutien aux enfants, aux familles les plus modestes et aux jeunes les plus éloignés de l'emploi. C'est le sens de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté annoncées par le Président de la République le 13 septembre dernier.
Ce projet social pour La Réunion ne doit pas être celui de l'Etat seulement. Il doit être celui de tous les Réunionnais et j'ai confié au délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté, qui m'accompagne aujourd'hui, le soin d'accompagner sa mise en œuvre avec les services de l'Etat, les collectivités et les associations.Ils auront à la fois répondre à l'urgence, aux fins de mois qui commencent le 10 du mois, mais aussi relier le social au développement économique pour que le droit à l'avenir ne soit plus une promesse creuse pour une partie de notre jeunesse.
Un travail de fond va s'engager, avec l'Etat, les collectivités, les associations. Vous allez pouvoir fixer des priorités et décider d'un projet social qui tienne compte de besoins spécifiques de La Réunion.
Mais je tiens à vous annoncer dès ce soir des éléments très concrets autour de 3 priorités :
- La 1ère priorité, c'est l'enfance et le soutien aux familles. Nous savons tous que les inégalités frappent dès la plus petite enfance, nous savons la situation de parents désemparés, parfois très jeunes, de mères isolées, livrées à elles-mêmes. Pour y répondre :
- Nous allons développer l'offre d'accueil du jeune enfant : la CAF va s'engager dans la création de 1500 nouvelles places de crèches, dans les territoires fragiles et à l'intérieur de l'île. Cela vient en complément du tiers payant pour payer les assistantes maternelles ;
- Nous allons créer 15 nouveaux centres sociaux de proximité sur l'ensemble du territoire réunionnais qui comprendront des possibilités de garde comme des crèches
- Nous allons créer 5 « points conseil budget » pour accompagner les familles dans la gestion de leur budget, les informer sur leurs droits et faciliter les démarches ;
- Pour l'accès à l'alimentation à bas prix, nous allons déployer un programme pour permettre de baisser le prix des produits alimentaires pour tous les touts petits, comme le lait maternisé ;
- Enfin, dans les écoles, dès 2019, il y aura des petits déjeuners offerts là où les enfants viennent le ventre vide le matin.
- La seconde priorité, ce sont les jeunes. La Réunion compte 63 000 jeunes ni en étude, ni en emploi, ni en formation. Nous allons multiplier les offres d'accompagnement :
- Avec une obligation de formation qui contraindra les acteurs publics à proposer une offre de formation à tout jeune jusque 18 ans ;
- Avec des moyens supplémentaires pour les missions locales, à la fois pour aller chercher les jeunes dans les quartiers, les accompagner vers l'emploi, améliorer la prise en compte des besoins de mobilité et de logement, et financer des actions pour les jeunes sans perspective.
- Avec une augmentation de l'accompagnement des écoles de la deuxième chance et avec la création d'une nouvelle école dans le Nord
- La 3e priorité c'est d'investir massivement dans l'accompagnement vers l'emploi.
- Nous voulons sortir des politiques sociales par les prestations pour investir massivement sur l'accompagnement vers l'emploi. Muriel Pénicaud a annoncé il y a quelques jours que le plan d'investissement dans les compétences serait doté de 253 M€ à La Réunion, pour développer l'offre de formation avec la Région. Au total, cela porte à 350 M€ l'engagement supplémentaire de l'Etat.
- Pour les allocataires du RSA, nous voulons sortir des parcours cloisonnés entre accompagnement social et accompagnement professionnel. C'est ce qui nous a été demandé aujourd'hui. Cela fait des décennies que cela ne marche pas. C'est pourquoi nous allons déployer sur tout le territoire un accompagnement global entre Pôle emploi et le Département dès 2019, revoir les procédures d'instruction et d'orientation des allocataires et renforcer le contrôles des engagements réciproques.
- Cet accompagnement renforcé sera concrétisé par l'augmentation des moyens de l'insertion par l'activité économique qui permettra d'accompagner 1500 personnes de plus chaque année.
- Nous allons aussi soutenir davantage les associations qui accompagnent les plus fragiles, notamment ceux qui ont des besoins sanitaires, ainsi que les chômeurs de longue durée.
- Enfin, nous allons proposer des moyens supplémentaires aux collectivités, et en premier lieu au Département, assortis d'exigences de suivi et de résultat, pour favoriser l'accès aux droits, le soutien aux jeunes issus de la protection de l'enfance, les politiques d'insertion.
Les moyens dédiés seront plus que doublés en 2019. Au total, ce sont plus de 30 M€ qui seront investis aux côtés des collectivités pour soutenir les associations, accompagner les familles, porter notre priorité à la dignité par le travail.
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Ces premières annonces sont nécessaires. Elles constituent une réponse d'urgence à la crise qui secoue l'île. Elles seront suivies par d'autres.
Mais je tiens à mettre à profit le temps que je vais passer ici pour définir, avec tous mes interlocuteurs (élus, chefs d'entreprises, responsables associatifs, gilets jaunes, organisations syndicales), d'autres propositions en matière d'emploi local, d'accès aux services publics essentiels, de pouvoir d'achat, mais aussi d'institutions et de participation citoyenne.
Je tiens également à le rappeler, et je l'ai dit ce matin aux gilets jaunes, le mouvement n'est pas sans conséquences. Je pense notamment aux 465 entreprises qui ont demandé à bénéficier du chômage partiel pour plus de 6 000 salariés. La responsabilité de tous, c'est que la vie puisse reprendre à La Réunion.
Je vous remercie.